Toutefois, les Conseillers prud’homaux de GRENOBLE tiennent tête à la Cour de cassation…
En effet, le Conseil de Prud’hommes de Grenoble a rendu, le 22 juillet dernier, un jugement de départage dans lequel il écarte l’avis rendu le 17 juillet 2019 par la Cour de cassation concluant à la conventionnalité du barème institué par l’Ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017.
Dès les premières heures après la diffusion de l’avis dans lequel la Cour de cassation a rejeté les arguments selon lesquels le barème de l’article L 1235-3 du Code du travail contrevient à plusieurs textes internationaux et a conclu à sa conformité à l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT sur le licenciement, de nombreux commentateurs soulignaient que, s’agissant d’un avis et non d’un arrêt, il ne liait pas les juges du fond, qui pourraient donc refuser de l’appliquer.
C’est ce que vient de faire, moins d’une semaine après ledit avis, le Conseil de prud’hommes de Grenoble, aux termes de son jugement en départage, ayant ainsi davantage de poids qu’une décision paritaire, puisque présidé et rédigé par un magistrat professionnel qui a emporté la décision.
Dans l’affaire qui lui était soumise, une salariée avait été licenciée en raison notamment d’une « altercation et prise à partie agressive de l’une de ces collègues ».
Elle demandait notamment au Conseil de prud’hommes de juger le licenciement nul, car intervenu dans un contexte de harcèlement moral, ou, à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse. Rappelons que le terrain de la nullité du licenciement est souvent privilégié par les salariés qui peuvent ainsi faire échec à l’application du barème en cause.
Le Conseil de prud’hommes l’a déboutée de sa demande de nullité du licenciement pour harcèlement moral, considérant celui-ci comme non établi. En revanche, estimant la faute invoquée à son encontre insuffisamment démontrée et « disproportionnée au regard du contexte », il juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Restait la question du montant de l’indemnité, étant précisé que la salariée avait invoqué la non-conformité au droit européen du barème de l’article L 1235-3 du Code du travail.
Sur le sujet, après avoir rappelé le texte de l’article L 1235-3, les juges prennent acte de ce que l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée n’a pas d’effet direct en droit interne dans les litiges entre particuliers.
Puis ils rappellent que le Conseil d’État a reconnu l’effet direct de l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT, ainsi que les termes de celui-ci : en substance, si les juges n’ont pas le pouvoir d’ordonner la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une « indemnité adéquate » (l’expression est soulignée par le Conseil).
Enfin le Conseil de prud’hommes souligne que l’avis rendu par la Cour de cassation ne constitue pas une décision au fond, dans le même sens que les nombreuses critiques de celui-ci.
Dans un second temps, les juges ont examiné les faits de l’espèce : ils ont constaté que, en application de l’article L 1235-3 du Code du travail, la salariée aurait droit à une indemnité allant de 3 à 11 mois de salaire, soit un maximum d’un peu plus de 23 000 €.
Puis ils ont estimé que le préjudice réel qu’elle a subi était supérieur à la marge supérieure de cette fourchette, au regard de son ancienneté de 11 ans et 11 mois, de son âge – 55 ans au jour de son licenciement -, de sa rémunération, de sa qualification et de « son souhait affiché de monter dans la hiérarchie, projet totalement interrompu par ce licenciement », ainsi que de la perte pour la salariée de la possibilité de pouvoir bénéficier de l’allocation de fin de carrière, outre les circonstances mêmes de la rupture.
Le Conseil de prud’hommes a jugé qu’il y avait lieu de verser à la salariée des indemnités adéquates, et de retenir une somme de 35 000 € nets.
Cette somme apparaissant supérieure à ce que permet l’application du barème, il doit être écarté afin de permettre une réparation adéquate du préjudice de la salariée, conformément à l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT.
Pour connaître l’issue de cette saga jurisprudentielle, il conviendra d’attendre les premières décisions de cours d’appel, qui interviendront à l’automne, les positions du CEDS et de l’OIT, même si leur portée n’est que symbolique.
Ce qui mettra véritablement fin au débat sera l’arrêt que la Chambre sociale de la Cour de cassation rendra sur le sujet.
(Avis n° 15013 du 17 juillet 2019 – Formation plénière pour avis- Cour de cassation)
(Conseil de prud’hommes de Grenoble 22 juillet 2019 n° 18/00267)