La Cour de cassation admet, pour la première fois dans un arrêt du 09 mai 2019, la validité d’une rupture conventionnelle homologuée conclue avec un salarié dont l’inaptitude d’origine professionnelle suite à accident du travail a été déclarée par la médecine du travail, en l’absence de preuve d’une fraude ou d’un vice du consentement.
Il convient de rappeler que par cet arrêt, la Cour de cassation confirme sa position visant à admettre la conclusion d’une rupture conventionnelle pendant la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident de travail (Cassation, chambre sociale, 30 septembre 2014 no 13-16.297).
Pour les juges, les dispositions du Code du travail limitant la rupture du contrat de travail, pendant cette période de suspension du contrat de travail, à la faute ou l’impossibilité de maintenir le contrat ne concernent que la rupture unilatérale à l’initiative de l’employeur. La rupture conventionnelle, qui résulte d’un accord des parties, reste possible.
Dans le même esprit et s’agissant du salarié de retour dans l’entreprise à la suite d’un accident du travail, la Cour de cassation a également admis la possibilité de conclure une rupture conventionnelle avec un salarié déclaré apte avec réserves à la reprise du travail, à défaut pour ce dernier d’avoir prouvé que l’employeur avait en réalité voulu éluder les dispositions du Code du travail relatives à la réintégration du salarié apte (Cassation, chambre sociale, 28 mai 2014 no 12-28.082).
A fortiori, la convention de rupture conventionnelle conclue pendant la période de suspension du contrat de travail du salarié pour maladie non professionnelle était aussi reconnue comme valide par les juridictions du fond. (Cour d’appel de Bordeaux 20 novembre 2012 n° 12-52).
L’arrêt du 9 mai 2019 publié au bulletin admet désormais la possibilité pour le salarié de conclure la rupture conventionnelle après avoir été déclaré physiquement inapte à son poste par le médecin du travail.
Auparavant, le recours à ce mode de rupture du contrat était expressément exclu pour un salarié inapte, car il aurait eu pour effet d’éluder le régime juridique spécifique lié à l’inaptitude physique (Cassation, chambre sociale, 29 juin 1999 no 96-44.160).
La déclaration d’inaptitude physique du salarié emporte en effet application d’un régime protecteur : obligation pour l’employeur, sauf exception très encadrée, de lui chercher un poste de reclassement, reprise du versement du salaire à défaut de reclassement ou de rupture du contrat de travail dans le délai d’un mois, possibilité d’engager la procédure de licenciement uniquement en cas de justification de l’impossibilité de reclassement.
En permettant aux parties de conclure une rupture conventionnelle, la Cour de cassation admet que ce régime juridique protecteur soit écarté.
Certes, rien ne s’oppose à ce qu’un salarié démissionne après avoir été déclaré inapte par le médecin du travail. Ainsi, on ne voit donc pas ce qui pourrait l’empêcher, en théorie, de négocier la rupture de son contrat de travail.
En pratique, il est difficile de comprendre les raisons qui pousseraient le salarié à renoncer à la protection légale prévue en cas de licenciement pour inaptitude d’origine professionnelle (versement de l’indemnité spécifique de licenciement – égale au double de l’indemnité légale de licenciement- et l’indemnité compensatrice – égale à l’indemnité compensatrice de préavis légale), sauf à négocier une indemnité de rupture supérieure à l’indemnité minimale conventionnelle.
La Cour de cassation réserve le cas de la fraude ou du vice du consentement, qui sont de nature à justifier l’annulation de la rupture conventionnelle.
En l’espèce, les juges ont écarté le vice du consentement qui n’était pas allégué par le salarié et considéré que la preuve de la fraude de l’employeur n’était pas établie, dès lors que le salarié a disposé d’un délai de 15 jours de rétractation avant l’homologation de la convention de rupture et que celle-ci était régulière.
Cette solution semble remettre en cause un arrêt de la cour d’appel de Poitiers ayant annulé pour fraude une rupture conventionnelle signée par un salarié entre les deux visites de reprise aux motifs que c’était l’imminence de la déclaration d’inaptitude qui avait incité l’employeur à proposer une rupture conventionnelle au salarié pour échapper à son obligation de reclassement et que le montant de l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle était inférieur à celui de l’indemnité de licenciement majorée due en cas licenciement pour inaptitude physique (Cour d’appel de Poitiers 28-3-2012 no 10-02441 : RJS 6/12 no 545).
La solution retenue par la Cour de cassation aux termes de cet arrêt du 09 mai 2019 n’est donc pas sans risque en pratique, et l’employeur voulant conclure une rupture conventionnelle avec un salarié inapte a tout intérêt à l’informer de son obligation de reclassement et à lui verser une indemnité au moins égale à celle qui lui serait due en cas de licenciement pour inaptitude physique ou, tout du moins, à l’informer de l’existence de cette indemnité majorée.
En effet, quand bien même la fraude ne serait pas retenue dans ces circonstances par la Haute Juridiction, le silence de l’employeur pourrait être assimilé à une manœuvre dolosive de sa part ayant vicié le consentement du salarié.
De même, en matière de vice du consentement, le salarié inapte pourrait aussi invoquer la fragilité de son état de santé au moment de la conclusion de la convention en faisant état de séquelles ayant altéré ses capacités ou sa clairvoyance. Cet élément pourra être d’autant plus retenu par le juge si son accident du travail ou sa maladie professionnelle est lié à des troubles psychiques ou psychologiques consécutifs à ses conditions ou à sa charge de travail.
Il conviendra d’attendre certaines décisions de cours d’appel afin d’apprécier les répercussions de cet arrêt in concreto.
(Cassation, chambre sociale, 9 mai 2019 n° 17-28.767 FS-PB, T. c/ Sté AFR France)